Curatelle renforcée : comment organiser efficacement la gestion financière ?
Lorsqu'une personne majeure ne peut plus gérer seule ses ressources financières en raison d'une altération de ses facultés, la curatelle renforcée devient un dispositif de protection essentiel. Cette mesure, qui confie au curateur la perception des revenus et le règlement des dépenses selon l'article 472 du Code civil, soulève de nombreuses questions pratiques pour les familles. Comment garantir une protection efficace tout en préservant la dignité et l'autonomie de la personne protégée ? Maître Sophie BINET, avocat en droit de la famille et des personnes à Poissy, vous guide dans l'organisation rigoureuse de cette gestion financière complexe.
Ce qu'il faut retenir
- Le curateur doit reverser l'excédent budgétaire après paiement des charges, mais peut constituer une épargne raisonnable uniquement pour des charges futures certaines (impôts, soins médicaux) sans compromettre le train de vie de la personne protégée
- Le compte de gestion annuel doit être transmis avant le 31 mars au greffe du tribunal (couvrant la période du 1er janvier au 31 décembre), sous peine de dessaisissement et d'éventuelles poursuites civiles ou pénales
- L'allocation personnelle peut être versée hebdomadairement, à la quinzaine ou mensuellement, via carte de retrait plafonnée ou carte de paiement sans découvert autorisé, selon les capacités de gestion du majeur protégé
- Le coût d'une curatelle renforcée exercée par un mandataire professionnel s'élève à 142,95 euros mensuels (exonération totale pour les revenus annuels inférieurs à 11 612,29 euros)
Le cadre légal de la curatelle renforcée et ses implications bancaires
La curatelle renforcée se distingue fondamentalement de la curatelle simple par le transfert complet de la gestion financière au curateur. Contrairement à une curatelle simple où le majeur conserve la gestion de ses ressources sous supervision, la curatelle renforcée confie au curateur la perception exclusive des revenus sur un compte ouvert au nom de la personne protégée. Cette mesure, prononcée pour une durée maximale de 5 ans renouvelable, impose un cadre juridique strict.
Le curateur devient ainsi le seul responsable du règlement des dépenses auprès des tiers, une responsabilité qui s'accompagne d'une obligation de transparence absolue. Chaque mouvement financier doit être documenté et justifié, car le directeur des services de greffe du tribunal judiciaire vérifie annuellement la gestion effectuée (sachant que selon l'article 513 du Code civil, le juge peut dispenser le curateur familial de cette obligation en cas de modicité des revenus, même si un compte doit quand même être établi pour archive personnelle). Cette surveillance judiciaire garantit que les intérêts de la personne protégée sont préservés tout au long de la mesure.
L'organisation de cette gestion financière nécessite une approche méthodique qui concilie protection patrimoniale et respect de l'autonomie. Les enjeux sont multiples : assurer le paiement des charges obligatoires, calculer précisément l'allocation personnelle à reverser, constituer une épargne raisonnable pour les dépenses futures, et maintenir un dialogue constructif avec la personne protégée.
À noter : En cas de budget déficitaire causé par des dettes importantes qui déséquilibrent durablement les finances du majeur protégé, le curateur doit impérativement envisager la constitution d'un dossier de surendettement auprès de la commission de surendettement des particuliers. Cette démarche, effectuée malgré les réajustements budgétaires tentés avec la personne protégée, permet de retrouver un équilibre financier durable grâce à un plan de remboursement adapté ou, dans les situations les plus graves, un effacement partiel des dettes.
La structuration du système bancaire pour une gestion optimale
Dès la désignation comme curateur, plusieurs démarches bancaires s'imposent immédiatement. La première étape consiste à ouvrir un compte bancaire au nom de la personne protégée si elle n'en possède pas, en veillant à ce que l'intitulé mentionne clairement la mesure sous la forme « M. X sous curatelle renforcée de M. Y ». Cette mention obligatoire apparaîtra sur tous les documents bancaires : relevés, RIB et chéquiers. Depuis la loi du 23 mars 2019, le curateur peut ouvrir un compte supplémentaire dans le même établissement bancaire sans autorisation judiciaire préalable, facilitant ainsi l'organisation de la gestion (toutefois, l'ouverture d'un compte dans un autre établissement nécessite toujours l'autorisation du juge des contentieux de la protection).
Le curateur doit impérativement révoquer toutes les procurations existantes sur les comptes du majeur protégé pour garantir qu'il soit la seule personne autorisée à effectuer des opérations financières. Parallèlement, une interrogation systématique du FICOBA et du FICOVIE permet de recenser exhaustivement tous les comptes bancaires et contrats d'assurance-vie détenus, évitant ainsi toute omission dans l'inventaire patrimonial qui doit être établi dans les trois mois suivant l'ouverture de la mesure.
Un système à deux comptes s'avère particulièrement efficace pour organiser la gestion financière en curatelle renforcée. Le premier compte, appelé compte de gestion, reçoit l'intégralité des revenus (salaires, retraites, prestations sociales) et sert au règlement de toutes les charges obligatoires. Le second compte, laissé à la disposition du majeur protégé, reçoit l'excédent calculé après paiement des dépenses et permet à la personne de conserver une certaine autonomie grâce à une carte de retrait plafonnée ou une carte de paiement sans découvert autorisé.
L'information des organismes et la perception centralisée des revenus
Le curateur doit informer tous les organismes en relation financière avec la personne protégée : banques, bailleurs, sécurité sociale, mutuelle, CAF et centre des impôts. Cette notification permet de centraliser la perception de tous les revenus sur le compte de gestion. Par exemple, si Monsieur Martin touche une retraite de 1 200 euros et une allocation logement de 250 euros, ces deux sommes seront désormais versées directement sur le compte géré par le curateur.
Cette centralisation facilite également la vérification des droits sociaux. Le curateur doit s'assurer que la personne protégée perçoit toutes les aides auxquelles elle peut prétendre : Allocation aux Adultes Handicapés, Complémentaire Santé Solidaire ou Allocation Personnalisée d'Autonomie. Une personne handicapée non informée de ses droits pourrait ainsi bénéficier de l'AAH à hauteur de 971 euros mensuels, améliorant significativement son budget disponible (avec une exonération totale des frais de curatelle pour les revenus annuels inférieurs à 11 612,29 euros).
Exemple pratique : Madame Rousseau, 58 ans, atteinte de troubles cognitifs légers suite à un AVC, était placée sous curatelle renforcée. Son curateur familial a découvert, lors de l'inventaire initial, qu'elle ne percevait pas la pension d'invalidité à laquelle elle avait droit depuis deux ans, représentant un manque à gagner de 650 euros mensuels. Après constitution du dossier auprès de la CPAM et obtention d'un rappel de 15 600 euros, le budget mensuel est passé de 1 100 euros (RSA et aide au logement) à 1 750 euros, permettant d'améliorer considérablement ses conditions de vie et de constituer une épargne de précaution de 200 euros mensuels pour ses futurs frais médicaux.
Le calcul précis de l'allocation personnelle et l'élaboration budgétaire
L'article 472 du Code civil impose au curateur de reverser l'excédent à la personne protégée après règlement des dépenses obligatoires. Ce calcul ne se fait pas simplement sur ce qui reste à la fin du mois, mais sur une période plus longue intégrant des projets ponctuels ou à long terme (voyages, achats importants) et des dépenses à lisser comme les impôts. La formule de base reste : revenus mensuels moins charges obligatoires (loyer, factures d'énergie, assurances, mutuelle, frais de mandataire le cas échéant) égale excédent à reverser.
Prenons l'exemple concret de Madame Dubois, sous curatelle renforcée, qui perçoit 1 500 euros mensuels. Après déduction de son loyer de 600 euros, ses factures d'énergie de 120 euros, son assurance habitation de 30 euros, sa mutuelle de 80 euros et les frais de mandataire de 142,95 euros (tarif de base), il reste un excédent de 527,05 euros. Cependant, le curateur peut, en concertation avec Madame Dubois, provisionner 100 euros mensuels pour les impôts annuels et 50 euros pour d'éventuels frais médicaux, laissant ainsi 377 euros d'allocation personnelle disponible.
Les modalités de versement de cette allocation doivent être adaptées aux capacités de gestion de la personne protégée. L'excédent peut être versé à la semaine, à la quinzaine, au mois ou selon toute autre périodicité adaptée, au moyen d'espèces (pour de petites sommes), d'une carte de retrait plafonnée ou d'une carte de paiement sans découvert autorisé. Ces modalités sont définies conjointement avec la personne protégée pour respecter ses habitudes tout en garantissant sa sécurité financière.
L'établissement du budget prévisionnel et l'implication du majeur protégé
Dès le début de la mesure, le curateur doit établir un budget prévisionnel annuel détaillé, recensant exhaustivement toutes les ressources et charges. Ce document, soumis au juge des contentieux de la protection pour validation, devient la référence pour la gestion mensuelle. Son élaboration avec la personne protégée favorise la compréhension des éventuelles restrictions financières et maintient son implication dans les décisions.
La participation active du majeur protégé à l'élaboration budgétaire est essentielle. Si Monsieur Leroux souhaite partir en vacances l'été prochain, cette dépense peut être anticipée en constituant une épargne mensuelle de 150 euros pendant huit mois. Cette approche collaborative permet de concilier protection financière et projets personnels, évitant les frustrations liées à une gestion trop restrictive. Toutefois, la constitution d'épargne doit rester raisonnable et ne concerner que des charges futures certaines ou probables : à défaut d'accord avec le majeur protégé, cette épargne ne doit pas trop nuire à son train de vie, particulièrement si la personne dispose déjà d'économies importantes.
Conseil pratique : Pour éviter une accumulation injustifiée sur le compte de gestion qui pourrait être reprochée lors du contrôle annuel, le curateur doit veiller à ce que le compte ne soit pas trop créditeur. Un solde excessif non justifié par des projets précis ou des provisions pour charges futures peut être interprété comme une rétention abusive des fonds appartenant à la personne protégée. Il est recommandé de documenter systématiquement les raisons de toute épargne constituée dans un tableau de suivi budgétaire annexé au compte de gestion.
Le contrôle judiciaire et les obligations de transparence
L'article 510 du Code civil impose au curateur de transmettre chaque année un compte de gestion détaillé au directeur des services de greffe. Ce document, établi pour l'année civile et transmis avant le 31 mars suivant, retrace l'intégralité des opérations financières : revenus perçus, dépenses effectuées, placements réalisés et modifications patrimoniales. La première année d'exercice, le compte de gestion doit couvrir la période allant de la date du jugement au 31 décembre (et non une année complète), puis pour les années suivantes du 1er janvier au 31 décembre.
Chaque dépense doit être justifiée par des pièces comptables : factures, relevés bancaires, reçus. Le curateur conserve ces documents pendant au moins cinq ans. Par exemple, l'achat d'un fauteuil roulant électrique de 3 000 euros devra être accompagné de la prescription médicale, du devis accepté et de la facture acquittée. Cette traçabilité exhaustive protège tant le curateur que la personne protégée. Le manquement à l'obligation de transmission du compte annuel constitue un motif grave de dessaisissement de la mesure au profit d'un autre curateur (notamment un mandataire professionnel MJPM) et peut entraîner des poursuites civiles ou pénales en cas de faute caractérisée.
Le majeur protégé reçoit obligatoirement une copie du compte de gestion et des justificatifs, garantissant une transparence totale de la gestion. Cette communication régulière maintient la confiance et permet à la personne de comprendre l'utilisation de ses ressources. En cas de désaccord, elle peut contester les actes réalisés en saisissant le juge des contentieux de la protection.
Les autorisations judiciaires pour les actes importants
Certains actes dépassent le cadre de la gestion courante et nécessitent une autorisation judiciaire préalable. La vente d'un bien immobilier, la souscription d'un emprunt ou une donation importante ne peuvent être réalisés sans l'accord du juge des contentieux de la protection. Cette autorisation n'est pas une simple formalité : le magistrat examine la situation financière globale, l'intérêt de l'opération et la capacité de compréhension de la personne protégée.
Les placements financiers comportant des risques nécessitent également l'accord du juge. Si Madame Petit dispose de 20 000 euros d'économies et souhaite les investir en actions, le curateur devra présenter au juge un dossier détaillant les risques, les perspectives de rendement et l'adéquation avec la situation patrimoniale globale. Cette supervision judiciaire garantit que les décisions importantes sont prises dans l'intérêt exclusif de la personne protégée.
À retenir pour la fin de mesure : En cas de mainlevée de la curatelle, de dessaisissement du curateur ou de décès de la personne protégée, le curateur doit impérativement transmettre un dernier compte de gestion couvrant la dernière période de son mandat. Ce document final doit être accompagné des cinq derniers comptes annuels et remis respectivement à l'ex-personne protégée retrouvant sa pleine capacité, au nouveau curateur désigné ou aux héritiers connus. Cette obligation de transmission finale garantit la continuité de la traçabilité financière et permet une passation sereine des responsabilités.
La curatelle renforcée et sa gestion financière exigent ainsi rigueur, transparence et humanité. L'équilibre entre protection efficace et préservation de l'autonomie reste l'objectif constant du curateur, sous le contrôle vigilant de l'autorité judiciaire.
Face à la complexité de ces dispositifs de protection juridique, l'accompagnement d'un professionnel du droit s'avère précieux. Le cabinet de Maître Sophie BINET, situé à Poissy, met son expertise en droit de la famille et des personnes au service des familles confrontées à ces situations délicates. Que vous soyez désigné curateur familial ou que vous cherchiez à comprendre vos droits en tant que personne protégée, Maître BINET vous conseille dans la mise en place et le suivi des mesures de tutelle et curatelle, garantissant ainsi le respect des intérêts de chacun dans le cadre légal approprié.
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