Information préoccupante : qui signaler et comment procéder ?
Chaque année en France, les services départementaux reçoivent plus de 100 000 informations préoccupantes concernant des mineurs potentiellement en danger. Face à une situation inquiétante impliquant un enfant, nombreux sont ceux qui hésitent sur la marche à suivre, craignant de mal agir ou de déclencher une procédure inadaptée. Le cabinet de Maître Sophie BINET, avocat en droit de la famille à Poissy, vous guide à travers les mécanismes juridiques de protection de l'enfance pour comprendre quand et comment transmettre efficacement une information préoccupante.
- Ce qu'il faut retenir :
- L'impossibilité de rencontrer un mineur lors de l'évaluation entraîne automatiquement la saisine du juge des enfants (article D226-2-6 du CASF), sans attendre le délai de trois mois
- Un signalement effectué de bonne foi ne peut engager votre responsabilité, mais ne pas dénoncer une maltraitance connue expose à 3 ans de prison et 45 000€ d'amende
- Les enfants exposés aux violences conjugales sont juridiquement des victimes depuis 2021 (et non plus seulement témoins), ce qui justifie une information préoccupante même sans violence directe sur l'enfant
- L'évaluation par la CRIP ne cherche pas à prouver les faits mais à apprécier le danger au regard des besoins fondamentaux de l'enfant (décret n° 2016-1476)
Comprendre l'information préoccupante et son cadre légal
L'information préoccupante constitue le premier maillon de la chaîne de protection de l'enfance. Définie précisément à l'article R226-2-2 du Code de l'action sociale et des familles, elle désigne toute information transmise à la cellule départementale pour alerter le président du conseil départemental sur la situation d'un mineur dont la santé, la sécurité ou la moralité pourraient être en danger. Cette notion juridique, créée par la loi du 5 mars 2007 et renforcée par celle du 14 mars 2016, englobe également les situations où les conditions d'éducation ou de développement physique, affectif, intellectuel et social de l'enfant sont gravement compromises ou risquent de l'être. Depuis le décret du 23 novembre 2021, les enfants exposés aux violences conjugales sont désormais juridiquement considérés comme victimes (article D1-11-1 du Code de procédure pénale), ce qui élargit le champ des situations justifiant une information préoccupante.
Il est essentiel de distinguer l'information préoccupante du signalement judiciaire direct au Procureur de la République. La première concerne les situations de danger potentiel nécessitant une évaluation approfondie par les services sociaux, tandis que le signalement s'impose en cas de danger grave et immédiat, notamment lors de maltraitances avérées ou de violences sexuelles. Cette distinction, fondamentale dans le dispositif de protection, permet d'orienter chaque situation vers le circuit approprié. Il est important de noter que selon le décret n° 2016-1476 du 28 octobre 2016, l'évaluation déclenchée par une information préoccupante n'a pas pour objet de déterminer la véracité des faits allégués, mais vise à apprécier le danger ou le risque de danger au regard des besoins et des droits fondamentaux de l'enfant.
L'article 375 du Code civil précise les critères permettant d'identifier une situation de danger : atteinte à la santé, à la sécurité ou à la moralité du mineur, conditions d'éducation ou de développement gravement compromises. L'objectif de l'information préoccupante reste avant tout de permettre une évaluation pluridisciplinaire de la situation familiale pour proposer, si nécessaire, des mesures de protection adaptées. L'article 222-13 du Code pénal va plus loin en punissant spécifiquement les violences volontaires sur conjoint commises devant un mineur de 5 ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende, reconnaissant ainsi l'impact traumatique de ces violences sur les enfants témoins.
À noter : Un enfant régulièrement exposé aux disputes violentes entre ses parents peut faire l'objet d'une information préoccupante, même s'il n'est jamais directement frappé. La loi reconnaît désormais que l'exposition aux violences conjugales constitue en soi une forme de maltraitance psychologique pouvant gravement compromettre le développement de l'enfant.
Les acteurs habilités à transmettre une information préoccupante
Les professionnels au contact des mineurs
Les professionnels de l'Éducation nationale occupent une place centrale dans le dispositif de protection. Enseignants, directeurs d'établissement, infirmiers scolaires sont tenus, selon l'article 40 du Code de procédure pénale, de signaler toute situation préoccupante dont ils ont connaissance. Cette obligation légale s'étend aux professionnels de santé - médecins généralistes, pédiatres, personnels hospitaliers et de PMI - qui disposent d'un accès privilégié à l'intimité des familles.
Les travailleurs sociaux des services départementaux, les personnels des mairies et les associations en contact régulier avec les mineurs participent également à ce maillage protecteur. Chacun, dans son domaine de compétence, peut détecter des signaux d'alerte : absences répétées à l'école, traces suspectes lors d'une consultation médicale, confidences lors d'activités périscolaires. Un exemple concret : une animatrice de centre de loisirs remarquant qu'un enfant de 7 ans arrive systématiquement en retard, mal habillé et affamé, peut légitimement transmettre une information préoccupante.
Le rôle des citoyens dans la protection de l'enfance
Contrairement aux idées reçues, tout citoyen peut et doit agir face à une situation préoccupante concernant un mineur. Voisins inquiets d'entendre régulièrement des cris et des pleurs, membres de la famille élargie constatant des négligences répétées, amis témoins de comportements inadaptés des parents : chacun peut transmettre ses observations aux autorités compétentes. La loi protège d'ailleurs ces lanceurs d'alerte en leur garantissant la possibilité de rester anonymes et en ne leur imposant aucun écrit formel. Il est crucial de savoir que la non-dénonciation d'une situation de maltraitance dont on a connaissance peut être punie de 3 ans de prison et 45 000 euros d'amende, tandis que la dénonciation calomnieuse volontaire de faits que l'on sait inexacts constitue un délit puni de 5 ans de prison et 45 000 euros d'amende.
Cette possibilité d'agir s'accompagne d'une protection juridique solide. L'article 226-14 du Code pénal autorise expressément la levée du secret professionnel pour les situations impliquant des mineurs en danger (l'alinéa 1 s'appliquant à toute personne, l'alinéa 2 concernant spécifiquement les médecins et professionnels de santé qui peuvent choisir de saisir soit le Procureur soit la CRIP). Les professionnels soumis au secret peuvent ainsi transmettre les informations nécessaires sans craindre de poursuites, à condition d'agir de bonne foi. Cette protection, définie précisément dans l'article 226-14, s'étend aux particuliers qui signalent une situation préoccupante : le signalement effectué de bonne foi ne peut engager leur responsabilité civile, pénale ou disciplinaire, même si l'évaluation ultérieure ne confirme pas le danger.
Exemple pratique : Madame Martin, voisine d'une famille avec trois enfants, entend depuis plusieurs mois des cris violents et des pleurs d'enfants tous les soirs entre 19h et 21h. Elle remarque que l'aîné de 8 ans sort souvent sur le palier en pyjama, même en hiver, et semble chercher refuge chez les voisins. Après avoir noté ces observations pendant deux semaines dans un carnet (dates, heures, nature des bruits entendus), elle contacte le 119. L'écoutant prend en compte son témoignage détaillé et transmet une information préoccupante à la CRIP des Yvelines. Madame Martin n'encourt aucun risque juridique pour cette démarche effectuée de bonne foi, même si l'évaluation révèle finalement que les parents traversent simplement une période difficile avec des enfants turbulents.
Procédure détaillée pour transmettre une information préoccupante
Étape 1 : Identifier et qualifier la situation de danger
La première étape consiste à repérer et analyser les éléments préoccupants. Les signaux d'alerte peuvent être multiples : négligences dans les soins quotidiens, violences physiques ou psychologiques, exposition à des comportements inadaptés, carences éducatives graves. L'intensité, la répétition ou le cumul de ces faits constituent des indicateurs déterminants. Un fait isolé ne suffit généralement pas, sauf gravité exceptionnelle.
Face à ces constats, il est primordial de ne pas rester seul. Les professionnels doivent échanger avec leurs collègues, dans le respect de la confidentialité, pour croiser les observations et affiner l'analyse. Attention toutefois : il ne s'agit pas de mener une enquête personnelle ni de chercher à rassembler des preuves. Cette démarche relève des services évaluateurs et, le cas échéant, des autorités judiciaires.
Étape 2 : Rédiger le document d'information préoccupante
Pour les professionnels, la rédaction doit respecter un formalisme précis. Le document, établi sur papier à en-tête de l'institution, doit être daté et signé. Les informations essentielles à mentionner comprennent l'état civil complet de l'enfant (nom, prénom, date et lieu de naissance), l'adresse du domicile, l'identité des titulaires de l'autorité parentale, ainsi que les coordonnées professionnelles du signalant.
La description des faits doit rester factuelle et objective. Les observations directes sont distinguées des informations rapportées. Les propos de l'enfant, s'il s'est confié, sont retranscrits entre guillemets, sans interprétation ni jugement. Par exemple : "Lors de l'entretien du 15 mars 2024, l'enfant a déclaré : 'Papa me tape fort quand je renverse mon verre'. J'ai constaté des ecchymoses sur ses avant-bras." Les certificats médicaux éventuels sont joints sous pli scellé à l'attention du médecin référent de la CRIP.
Étape 3 : Transmettre à la CRIP départementale
La Cellule de Recueil des Informations Préoccupantes (CRIP) du département où réside l'enfant constitue le destinataire unique de ces informations. Chaque conseil départemental dispose de sa propre CRIP, dont les coordonnées sont disponibles sur les sites institutionnels. La transmission peut s'effectuer par courrier postal, courrier électronique ou, pour les situations urgentes, par téléphone avec confirmation écrite ultérieure. Un accusé de réception est obligatoirement envoyé aux professionnels ayant transmis une information préoccupante, bien que la CRIP n'ait aucune obligation légale d'informer l'émetteur sur les mesures prises ultérieurement (cette information n'étant pas effectuée si elle risque de révéler des informations couvertes par le secret professionnel, de compromettre une procédure judiciaire en cours, ou de faire courir un risque à l'émetteur s'il vit au domicile de l'enfant).
En cas de danger immédiat, le numéro national 119 "Allô Enfance en danger" reste accessible 24 heures sur 24, gratuitement et anonymement. Les écoutants professionnels peuvent orienter l'appelant et, si nécessaire, transmettre directement l'information aux services compétents. Cette ligne représente une ressource précieuse pour les citoyens hésitants ou pour les situations survenant en dehors des heures d'ouverture des services sociaux.
Étape 4 : L'information des parents, un principe assorti d'exceptions
Le Code de l'action sociale et des familles impose d'informer les détenteurs de l'autorité parentale de la transmission d'une information préoccupante. Cette transparence vise à maintenir le dialogue et à favoriser la collaboration des parents dans l'évaluation. L'information doit présenter la démarche comme une aide proposée à la famille pour surmonter ses difficultés.
Néanmoins, cette obligation connaît une exception majeure : lorsque l'information des parents est contraire à l'intérêt de l'enfant. Cette situation se présente notamment en cas de suspicion de maltraitance intrafamiliale, où informer les parents risquerait d'exposer l'enfant à des représailles, des pressions ou une mise en danger accrue. La décision de ne pas informer les parents doit être motivée et mentionnée dans le document transmis à la CRIP.
Conseil pratique : Si vous êtes un professionnel confronté à un dilemme concernant l'information des parents, consultez systématiquement votre hiérarchie ou le référent protection de l'enfance de votre institution. Dans les cas complexes impliquant des suspicions d'abus sexuels ou de violences intrafamiliales graves, privilégiez toujours la protection immédiate de l'enfant et mentionnez expressément dans votre écrit les raisons pour lesquelles vous estimez que l'information des parents serait contraire à l'intérêt de l'enfant.
Le signalement direct au Procureur : une procédure d'exception
Certaines situations nécessitent un signalement immédiat au Procureur de la République, court-circuitant le circuit habituel de l'information préoccupante. Ces cas concernent les dangers graves et immédiats : maltraitances physiques avérées avec constatation de lésions, violences sexuelles ou suspicions fondées, mise en danger vital de l'enfant. Le signalement s'effectue par courrier électronique à l'adresse dédiée du parquet, doublé d'un appel téléphonique au magistrat de permanence.
Même dans cette procédure d'urgence, une copie obligatoire doit être adressée concomitamment à la CRIP départementale. Cette double transmission garantit la centralisation des informations et la coordination des interventions. Le professionnel qui effectue un signalement téléphonique en urgence doit impérativement le confirmer par écrit dans les plus brefs délais, en joignant tous les éléments disponibles.
Le traitement de l'information préoccupante et ses suites
Une fois réceptionnée, l'information préoccupante déclenche un processus d'évaluation encadré par des délais réglementaires stricts. La CRIP dispose de trois mois maximum pour conduire l'évaluation, délai réduit en fonction de l'âge du mineur (notamment s'il a moins de deux ans) et de la nature du danger. Cependant, sur le terrain, certaines CRIP affichent des retards allant jusqu'à huit mois en raison d'un manque de moyens humains, certains professionnels devant traiter jusqu'à 587 dossiers par an (près de deux nouveaux cas par jour ouvrable), pendant lesquels des enfants restent exposés à des situations à haut risque.
L'évaluation, menée par une équipe pluridisciplinaire comprenant travailleurs sociaux, psychologues et professionnels de santé, examine la situation globale de l'enfant et de sa famille. Ces professionnels relèvent des services départementaux de l'aide sociale à l'enfance (ASE), de la protection maternelle et infantile (PMI), du service social départemental ou de la CRIP elle-même (des professionnels du service de promotion de la santé en faveur des élèves et du service social scolaire peuvent également participer en cas de besoin). Les évaluateurs rencontrent l'enfant, si possible seul, ainsi que les parents à leur domicile (selon l'article D226-2-6 du CASF, le mineur et les titulaires de l'autorité parentale doivent être rencontrés obligatoirement au moins une fois à leur domicile). L'évaluation porte également sur la situation des autres mineurs présents au domicile et recueille l'avis du mineur sur sa situation ainsi que celui des titulaires de l'autorité parentale sur les besoins du mineur et leurs difficultés éventuelles.
Point de vigilance crucial : Lorsque les évaluateurs ne peuvent pas rencontrer l'enfant, seul ou en présence des titulaires de l'autorité parentale, cette impossibilité conduit automatiquement à la saisine de l'autorité judiciaire selon l'article D226-2-6 du Code de l'action sociale et des familles, sans attendre la fin du délai d'évaluation. Cette disposition vise à éviter que des parents empêchent l'évaluation en refusant l'accès à leur enfant, ce qui constituerait en soi un signal d'alerte majeur.
À l'issue de cette évaluation approfondie, trois orientations sont possibles :
- Le classement sans suite lorsque l'évaluation ne confirme pas l'existence d'un danger
- La mise en place de mesures administratives avec l'accord des parents : accompagnement éducatif à domicile, aides financières, suivi social renforcé
- Le signalement au Procureur de la République si le danger est avéré et que les parents refusent l'aide proposée ou si la gravité de la situation l'impose
Les mesures administratives, contractualisées avec la famille, visent à soutenir les parents dans leur fonction éducative tout en protégeant l'enfant. Elles peuvent prendre diverses formes : intervention d'un éducateur au domicile, accueil de jour dans une structure spécialisée, aide financière pour améliorer les conditions de vie. Ces mesures font l'objet d'un suivi régulier et d'une réévaluation périodique.
Lorsque la situation nécessite l'intervention judiciaire, le juge des enfants peut ordonner des mesures plus contraignantes : assistance éducative en milieu ouvert imposée, placement provisoire de l'enfant chez un tiers de confiance ou dans une structure d'accueil. Le placement, mesure exceptionnelle, est limité à une durée maximale de deux ans, renouvelable par décision du juge. Le mineur peut être confié à un membre de sa famille, à une personne de confiance (tiers digne de confiance), à une famille d'accueil, dans un service départemental de l'Aide Sociale à l'Enfance ou dans un établissement habilité comme les maisons d'enfants à caractère social (MECS). Ces décisions, toujours limitées dans le temps et révisables, visent à protéger l'enfant tout en travaillant, quand c'est possible, au maintien ou à la restauration des liens familiaux (le placement n'impliquant pas le retrait de l'autorité parentale, sauf décision exceptionnelle du juge pour certains actes spécifiques).
Face à la complexité des situations familiales et à l'importance des enjeux pour les enfants concernés, l'accompagnement d'un professionnel du droit s'avère souvent précieux. Le cabinet de Maître Sophie BINET, implanté à Poissy, accompagne depuis de nombreuses années les familles confrontées à ces procédures, qu'il s'agisse de parents souhaitant comprendre et contester une mesure, ou de proches cherchant à protéger efficacement un enfant en danger. Fort de son expérience en droit de la famille et protection des mineurs, le cabinet propose un accompagnement personnalisé, de la rédaction de l'information préoccupante jusqu'au suivi des mesures judiciaires éventuelles. Pour toute situation nécessitant une expertise juridique en matière de protection de l'enfance dans les Yvelines, n'hésitez pas à solliciter une consultation pour évaluer vos droits et les démarches appropriées.
-
Rappel
-
En nous écrivant :
-
En nous appelant ?
